LE CARAVAGE ... Un chef d'oeuvre sort de l'ombre...
Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Le Caravage, est un peintre italien baroque, né à Milan en 1571 et mort à Porto Ercole en 1610. Son surnom lui viendrait du village lombard d'où ses parents étaient originaires. Il serait parti à cinq ans de ce village pour fuir la peste dont son père sera victime en 1577. A 13 ans il entre dans l'atelier de Simone Peterzano, un peintre maniériste.
Quand il perd sa mère en 1590 il part à Rome. Il y vivra parmi le peuple, une vie difficile qui influencera son oeuvre. Il est accueilli dans l'atelier du Chevalier d'Arpin où il peint des fleurs et des fruits, le commencement du genre de la "nature morte". Le cardinal Francesco Del Monte mécène des artistes lui achètera plusieurs tableaux et assurera sa protection.
Aujourd'hui, c'est un chef d'oeuvre sorti de l'ombre, dont je vais vous parler : la "Madeleine en extase"...
Ce tableau découvert il y a quelques années dans une collection privée, est-il une oeuvre du Caravage ? Cette peinture a disparu à Naples en 1610 après la mort de l'artiste. Devenue une oeuvre mythique dont l'image fut copiée à de nombreuses reprises, des experts vont devoir se prononcer. L'époque est à l'image du peintre, violente, attachante et passionnée. Cette oeuvre est indissociable des quatre dernières années du Caravage entre génie et tragédies. Un homme dont le talent fut reconnu par tous mais qui fut condamné par ses mauvais penchants.
Cela commence par la restauration de l'oeuvre ...
Mais revenons sur sa découverte. C'est en Ombrie, pas très loin de ce petit village que les propriétaires du tableau (qui souhaitent garder l'anonymat) ont su remarquer dans la petite collection dont leur famille avait hérité, une oeuvre pas comme les autres. Etait ce une femme enceinte ou une femme malade, avec ce ventre gonflé ? Ils vont faire appel à une très grande historienne de l'art, Mina Gregori. En observant les mains de Madeleine, elle a la certitude d'une éxécution du Caravage, parce que les passages extraordinaires de tonalité sur les doigts, sont une chose qu'un copiste ne peut absolument pas répeter et reproduire. Elle confirme, entre autre, que la beauté et la finesse des cheveux sont l'oeuvre d'un maître de toute première importance. Elle fut terriblement émue à l'étude du tableau parce que trouver un original comme celui ci est de grande importance dans la vie d'un expert. Surtout quand il s'agit du Caravage. Elle va leur demander de chercher tout document ou n'importe quoi qui se réfère au tableau.
Alors ils vont chercher dans le grenier de leur ancêtre et vont trouver deux livres d'inventaires rédigés au 19ème siècle, suite à deux héritages et qui faisaient mention de ce tableau.
Et surtout ils vont récupérer ce petit papier qui semblait être une signature et auquel personne n'avait jamais prêté attention. Personne ne lui avait jamais accordé d'importance. Ce document mentionne le nom de Caravage mais quelle peut être sa relation avec le tableau ?
La réponse se trouve dans l'itinéraire personnel de Caravage et dans les quatre dernières années de son existance.
Nous sommes à Rome en 1606. Caravage a 35 ans.
Il est célèbre pour sa nouvelle manière de peindre qui rompt avec l'art de la Renaissance.
Une oeuvre entre ombre et lumière, associée à sa forte personnalité et à son caractère ombrageux, d'après ses premiers biographes dont Giovanni Pietro Bellori qui déclare en 1672, " sa manière de peindre était en accord avec sa physionomie et son aspect. Il était sombre de peau et avait des yeux sombres, des cils et des cheveux noirs et tel il apparut naturellement dans sa peinture. Il se montrait fort négligent des soins corporels et des années durant il prit ses repas sur la toile d'un portrait qui lui servait de nappe, matin et soir."
L'homme est sombre et violent, c'est l'image qui sera transmise à la postérité, de l'artiste maudit tel qu'il va exister jusqu'au début du 20ème siècle. C'est un artiste qui ne dessinait pas ! Il peignait, dirait-on, avec ses tripes, chose impensable pour l'époque. Après avoir peint plusieurs heures dans la journée, il rôdait la nuit de par la ville, épée au flanc et s'adonnait au métier des armes montrant ainsi qu'il se souciait de tout autre chose que de son art.
Caravage n'est pas chevalier. Il n'a donc aucun droit de porter l'épée. Mais il bénéficie de protections puissantes et il en abuse bien trop souvent. Arrêté à plusieurs reprises par des policiers, la nuit, ses provocations le conduisent en prison.
Il passe plusieurs jours dans les cellules de Tor Di Nona avant que l'un de ses amis influent ne lui vienne en aide et qu'il soit libéré.
Pour une noble personne, s'imaginer trainer dans les rues de Rome la nuit, en 1605 autrement qu'avec une escorte, était impensable. Les tavernes sont tenues pas des bandes, les rues phagocitées par des voyous. C'est une des particularités du Caravage qui bien qu'il ait accès aux princes et aux plus grands collectionneurs, a continué à fréquenter les tavernes et les mauvais garçons ainsi que les prostituées. Caravage est un bagarreur et plusieurs plaintes sont déposées à son encontre comme celle d'un aubergiste auquel, mécontent, il a lancé un plat brûlant au visage. Ou celle d'un notable qui affirme qu'une nuit le peintre l'a violemment frappé du pommeau de son épée pour une histoire de femmes.
Et cela alors qu'au même moment il travaille pour les plus belles églises de Rome et ses plus riches collectionneurs et devient le plus grand peintre de son temps.
Mais Caravage est un homme scandaleux, violent dans son art comme dans sa vie. C'est ainsi qu'un soir de l'été 1606 à deux pas de son atelier, il est entrainé dans un duel qui va mal tourner. Ranuccio Tomassoni est un homme sulfureux, tout à la fois policier et proxénète. Peut-être s'affrontent ils pour une dette de jeu peut-être aussi pour de vieilles rancunes. Bléssé, Tomassoni meurt quelques heures après le combat. Grièvement bléssé à la tête, Caravage quitte Rome pour se réfugier dans l'un des fiefs des Colonna. Cette famille princière d'origine médiévale possède de nombreux domaines en Italie.
Depuis son enfance Caravage est sous la protection de la Marquise Colonna. Elle va le faire soigner et le cacher. Au bout d'un mois un procès condamne Caravage au bannissement et à la peine de mort et ce quel que soit l'endroit où se trouve l'artiste.
"Un Christ à Emmaüs" est achevé pendant sa convalescence chez les Colonna.
Réfugié à Naples, alors territoire espagnol, il est à l'abri de la police du Pape et de sa condamnation.
Naples est une ville où se cotient le faste de palais grandioses ...
Et un habitat plutôt misérable.
Comme si tout le monde ignorait qu'il est recherché par la police, Caravage reçoit beaucoup de commandes et fort bien payées. C'est le cas pour "Le Mont de Piété de la Miséricorde" un de ses premiers tableaux peints à Naples. La réputation de Caravage grandit.
Et pourtant il va décider d'aller à Malte, début d'un périple qui va durer 2 ans et à l'issue tragique.
Comprendre cette phase de son existence est aujourd'hui essentiel pour percer le secret des documents découverts par les propriétaires du tableau. C'est à Rome qu'ils vont charger Orietta Verdi, historienne spécialiste des archives de l'histoire de l'art, de cette tâche.
Elle va étudier en premier ce qu'elle appelle le "petit papier". La première ligne indique "Madeleine renversée de Caravage" Le mot "renversée" l'interpelle car les versions de ce tableau s'appellent "Madeleine en extase". Ensuite on peut lire "Chia". Or on sait que c'est à Chia que résidait la protectrice de Caravage, la Marquise Colonna. Vient ensuite "ceci pour le bénéfice du Cardinal Borghèse de Rome".
Nous savons que le cardinal Borghèse était un personnage très puissant à cette époque. Il était secrétaire d'Etat, neveu de Paul V Borghèse le souverain pontif règnant. Mais surtout c'était un collectionneur avide de Caravage.
Il possédait déjà plusieurs tableaux de Caravage qu'il était parvenu à se procurer à Rome. Et d'après ce que nous dit le papier, il revendiquait, il convoitait ce tableau "Madeleine renversée"
Les deux inscriptions qui se trouvent en haut à gauche et en bas, à droite, dans un premier temps ont paru assez énigmatiques.
Le "3. di 19" pourrait faire croire qu'il s'agit d'une date... Mais l'historienne pense plutôt à un chiffre correspondant à un élément d'une liste de 19 éléments différents. Et les deux dernières lettres "f et f" avec un point, cela pouvait ressembler à ce que l'on peut trouver sur beaucoup de documents, c'est à dire la signature qui signifie "faccio fidele", soit "je garantis l'exactitude".
En ce qui concerne les 2 livres d'inventaires il s'agit d'une première liste de tableaux trouvés dans le palais du Comte Pacelli de la ville de Terni en 1864. C'est un inventaire rédigé par un expert qui s'appelle Filippo Angeli, restaurateur de profession mais aussi artiste peintre.
Lequel au numéro 6 de sa liste indique une toile représentant la Madeleine mourante, école de Caravage, estimée à 100 écus.
Le mystère s'épaissit à la lecture du deuxième inventaire, une liste dressée vingt ans plus tôt dans la ville de Pérouse pour une autre famille les Canali. Ici la "Madeleine mourante" est attibuée à Le Guerchin, un peintre italien dont on confondit souvent les oeuvres avec celles de Caravage quand ce dernier tomba dans l'oubli...
Tout simplement parce qu'il existait un air de famille entre les deux artistes.
Mais alors pourquoi soudainement en 1864 alors que Caravage était largement oublié, son nom a t il fini par réapparaitre ? Et comment expliquer que le tableau soit passé de la famille Canali à celle du Comte Pacelli ? Etaient ils parents ? L'enquête se poursuit à Pérouse aux archives d'Etat pour consulter les inventaires des patrimoines et les testaments.
Voici l'enveloppe qui contenait le testament et qui était fermée de chaque côté. Elle était close avec des sceaux tout autour.
Et c'est celui de Pietro Canali qui lègue à son "bien aimé neveu, Francesco Pacelli 2000 écus, sa montre d'or".
Et voilà la connexion établie ; ils étaient bien en famille...
Et c'est finalement l'épouse de Pietro Canali qui lèguera, à sa mort, la "Madeleine en extase" à Francesco Pacelli. Premier mystère résolu, il faut maintenant remonter dans le passé jusqu'à l'époque de Caravage pour reconstruire l'arbre généalogique de la famille Canali et peut-être identifier la personne qui aurait pu acquérir le tableau.
C'est à Pérouse que l'on retrouve la maison de Giuseppe Canali, le père de Pietro, où l'on peut voir une belle Madeleine moribonde (aujourd'hui on dit "en extase") de Le Guerchin. C'est très important de constater qu'en 1784, soit 80 ans avant l'inventaire Canali, nous savons que le tableau de La Madeleine se trouve déjà dans la maison Canali à Pérouse. Les Canali font partie d'une dynastie de marchands de soie. Mais il est impossible d'y retrouver leur trace avant la fin du 17ème siècle. Où étaient ils installés à l'époque de Caravage ? C'est Francesca Curti, historienne de l'art, qui va les retrouver au sud de l'Italie à Naples. Et notamment Giovanni Andréa Canali, très actif au début du 17ème siècle comme marchand de soie, était aussi responsable des décisions d'un Vicaria Royal de Naples. C'était un tribunal qui s'occupait des contentieux civils. Et donc des héritages ! C'est peut-être un hasard mais au moment même de la mort de Caravage, Giovanni Andréa Canoli était magistrat royal au tribunal de Naples et s'occupait des héritages contestés. Existe t il un lien entre cet homme et les tout derniers tableaux du Maitre ? Cette question est désormais au coeur de l'enquête.
Au mois de juillet 1607 Caravage se présente devant les fortifications de La Valette, une ville alors en pleine reconstruction. Malte, c'est une étape vers le pardon du Pape et l'espoir d'un retour rapide vers Rome. Caravage espérait recevoir la croix de Malte, accordée aux hommes qui s'étaient illustrés pour leurs mérites et leur vertu.
Il fut accueilli à Malte par le 54ème Grand Maitre Alof de Wignacourt, Seigneur français. Il fit de lui un portrait qui le séduisit. Accéder au rang de chevalier lui offrifait une certaine immunité. Mais l'Ordre de Malte est un Ordre militaire et Caravage n'est pas le mieux qualifié pour y être accepté vu ses antécédants judiciaires. Il fallait avoir beaucoup de quartiers de noblesse, ce qu'il n'a jamais eu. Par contre Alof de Wignacourt a besoin d'un peintre pour décorer sa nouvelle capitale, La Valette. Il fait écrire à Borghèse pour lui demander l'autorisation exceptionnelle d'ordonner un meurtrier :
"Très Saint Père, Comme le Grand Maitre de l'Ordre de Saint Jean de Jérusalem souhaite honorer certaines personnes dignes et vertueuses, il prie humblement Votre Sainteté de daigner lui accorder l'autorité et le pouvoir, pour une fois seulement, d'être en mesure d'honorer et de décorer avec l'habit de Chevalier Magistral, deux personnes qu'il favorise. Nonobstant le fait que l'un des deux a auparavant commis un homicide au cours d'une rixe, il prie de considérer cela comme une faveur très spéciale pour le grand désir qu'il a d'honorer de si vertueuses et dignes personnes".
Quelques semaines plus tard, le Pape répond positivement à la requête du Grand Maitre et Caravage peut être ordonné Chevalier. Et puisque tout nouveau membre, en remerciement de sa nomination, doit faire un don important à l'Ordre de Malte, Caravage lui offre un tableau de très grande taille qu'il éxécute pour la nouvelle cathédrale de La Valette, la décollation de Saint Jean Baptiste.
C'est là que Caravage montre tout son génie. Il part de l'obscurité et il y ajoute la lumière. C'est la clé de son clair-obscur. Et c'est la raison pour laquelle ses personnages sont si parfaitement ciselés et définis dans une magnifique qualité tri dimensionnelle. De sorte que quand vous vous trouvez devant le tableau vous pensez que les représentations que vous voyez sont réelles.
Au départ son art a choqué parce qu'il s'est débarassé de tous les idéaux de la Renaissance. Il n'y a pas de personnage idéalisé, de visage de la Vierge, pas d'arrière plan, pas de collines toscanes, non plus d'angelots qui descendent du ciel. Aucun signe de rédemption, il s'agit simplement d'une tragédie, du terrible meutre d'un homme.
La décollation est l'unique tableau jamais signé par Caravage !
Frère Michelangelo Merisi, son nom de naissance, est inscrit dans le sang du Baptiste égorgé. Une signature que l'on interprète souvent comme un signe de pénitence pour le meurtre dont il s'est rendu coupable.
A Malte il peint encore quelques oeuvres dont le Saint Jérôme commandé par l'un des chevaliers supérieurs.
Caravage a obtenu ce qu'il voulait. Et pourtant, un soir, il est pris dans une bagarre dans la maison d'un Chevalier de Premier Rang personnage important et noble. La bagarre est dure puisqu'il y a plusieurs bléssés. Un coup de feu est tiré et une semaine plus tard Caravage est arrêté et incarcéré. Combien de temps restera t il en prison ?
Caravage est toujours aidé par quelqu'un dans sa vie ce qui signifie que probablement, en plus d'être caractériel, borderline comme on dirait aujourd'hui, il avait une personnalité qui suscitait de la sympathie, de l'amitié.
Caravage a probablement bénéficié de complicité pour s'évader. A son procès il sera jugé par contumace et exclus définitivement de l'Ordre de Malte. Il vient de se faire de nouveaux ennemis. L'Ordre de Malte est une organisation puissante et tentaculaire. Pour Caravage le danger fera désormais partie de son quotidien.
Retour à Rome où le "petit papier" continue à faire l'objet de beaucoup d'attentions. L'étude paléographique lui reconnait des similitudes avec l'écriture de Caravage et une datation au début du 17ème siècle. L'encre utilisée fera aussi l'objet d'une étude poussée. Elle contient divers éléments qui lui confèrent là aussi la même période. Par aileurs, on constate que le papier a fait l'objet de pliures qui contiennent des traces d'éléments minéraux de contamination. Ils ne font pas partie de la composition du papier. Cela laisse supposer qu'il a été en contact direct avec la toile du tableau.
Les pliures lui ont permis d'être placé à l'arrière du tableau. Ce qui expliquerait que la peinture l'ait très légèrement contaminé. Le scénario est cohérent mais ce n'est qu'une simple hypothèse. Tout va changer quand à Paris dans l'atelier de restauration on fait une découverte inattendue : en préparant le traitement de la toile du tableau qui déformée provoque des dommages sur la peinture. Avec le temps la toile, composée de fibres naturelles a rétréci et provoque comme des petits reliefs (des craquelures) en surface. Il faut la séparer du chassis sur laquelle elle a été fixée. C'est en les dissociant que l'employé va découvrir un deuxième cadre entoilé au dos de l'oeuvre. On voit la trace du tableau sur la toile de fond. Normalement quand un tableau est terminé on colle une deuxième toile, vierge, directement au dos du tableau, sans cadre. C'est l'entoilage.
Ici la particularité est qu'il y a 2 cadres l'un dans l'autre. Ce détail va s'avérer très précieux pour la suite de l'enquête.
Une fois la toile retendue, elle fera l'objet de retouches de peinture qui se confondront avec la toile d'origine. Ensuite, le tableau sera mis à la disposition des experts.
Octobre 1608 tout juste évadé de la prison de Malte, Caravage débarque à Syracuse. Il va rester un an en Sicile et se rendra ensuite à Messine puis à Palerme. Il fuit tout autant la condamnation du Pape que la vindicte des chevaliers de l'Ordre de Malte qui ne vont pas manquer de venger l'humiliation de son évasion. Et pourtant, tout juste arrivé, il n'a aucune difficulté à obtenir de nouvelles commandes.
L'enterrement de Sainte Lucie, le très grand tableau qu'il réalise ici pour l'église éponyme, inaugure une nouvelle manière de peindre. Est ce la marque d'un homme désormais sans repères ou celle d'une profonde inquiétude qui aurait bouleversé son art. La gamme des couleurs est restreinte, les teintes sont pâles. Les personnages qui occupent à peine un tiers du tableau semblent s'effacer dans un univers qui les dépasse. Ici encore Caravage est payé une fortune pour ses tableaux mais son exil ressemble de plus en plus à une fuite éperdue. Il s'habille médiocrement, est toujours armé, ce qui plus que tout, le fait ressembler à un reître plutôt qu'à un peintre. Il dort tout habillé avec à sa ceinture la dague qui ne le quitte jamais. En Sicile il se sent pourchassé par ses nombreux ennemis.
Alors il retourne à Naples en octobre 1609 où il est accueilli dans le palais de la Marquise Constanza Colonna sa protectrice de toujours. Sa peinture est maintenant celle d'un homme pressé qui synthétise ses idées en quelques coups de pinceau. Les traits des personnages sont moins précis qu'autrefois, il résume la réalité plutôt qu'il ne la représente fidèlement. On dit alors qu'il peint une oeuvre en à peine trois jours. Il se dit qu'il sent sa fin proche. Un jour qu'il se tenait devant la porte d'une taverne il se fait encercler par des hommes armés qui le blessèrent au visage. Qui sont ces hommes qui lui veulent du mal ? Des envoyés de l'Ordre de Malte qui veulent le punir de s'être évadé ? Ou bien vengent ils la famille de Ranuccio Tomassoni que Caravage a assassiné trois ans plus tôt ?
Caravage est donné pour mort, il n'est que défiguré.
Désormais son seul espoir c'est Borghèse alors en pleine constitution d'une immense collection. Le cardinal Borghèse est le neveu du Pape, et par conséquent un homme d'une très grande influence et qui peut obtenir la grâce de Caravage.
En échange, le peintre lui envoie l'image d'un David brandissant la tête tranchée de Goliath, une tête qui n'est autre que son portrait. Caravage peint ensuite un Saint Jean Baptiste lui aussi destiné au cardinal. Mais il ne lui enverra pas ; il compte l'emporter avec lui dans son voyage vers Rome et le lui remettre pour le remercier de son intervention. Il lui promet aussi un autre tableau représentant la Sainte Madeleine, vraisembleblement la Madeleine en extase.
Au début du mois de juillet 1610 il embarque enfin pour son retour à Rome. S'il fait ce voyage c'est qu'il a reçu la nouvelle de sa grâce. Il emporte avec lui deux représentations de Saint Jean Baptiste et le tableau de la Madeleine en extase. Mais les chroniqueurs affirment qu'il y a dans ses malles plusieurs autres tableaux, dix oeuvres en totalité prétendent certains d'entre eux. Il a prévu de s'arrêter à la première escale du bateau, dans le petit port de Palo Laziale qui n'est qu'à quelques kilomètres de Rome. Mais contre toute attente il est arrêté par des policiers qui le mettent au cachot. Il y restera trois jours tandis que le bateau repartira sans lui, en direction de Porto Ercole en Toscane avant de faire le voyage de retour vers Naples. A bord sont restés les effets personnels de Caravage, dont tous ses tableaux qui sont aussitôt remis à sa protectrice, la Marquise Colonna. Il a débarqué à Palo Laziale parce qu'il pensait que c'était un port sûr. parce qu'il se trouvait en territoire des états pontificaux. Les policiers qui vont l'arrêter n'ont pas reçu la nouvelle de la grâce. Une fois libéré contre une grosse somme d'argent, Caravage parcourt les 100 kilomètres qui le séparent de Porto ercole. Mais il n'a pas la moindre chance de récupérer ses tableaux et il meurt d'épuisement à son arrivée.
A Rome où l'on attendait son retour, ce fut la nouvelle inattendue de sa mort qui parvint, suscitant l'affliction de tous.
C'est par l'entremise du représentant de Scipione Borghèse à Naples, un certain Deodato Gentile que la suite de l'histoire peut être reconstituée. Le cardinal lui a demandé de s'enquérir des tableaux qui lui étaient destinés et que Caravage devait lui apporter. Le 29 juillet 1610, dix jours après la mort de Caravage, Deodato Gentile écrit une lettre au secrétaire du cardinal Borghèse à Rome.
La lettre dit que les effets personnels du peintre ont été apportés au palais de la Marquise Colonna. Et que lui même s'y est rendu pour vérifier si tous les tableaux étaient bien arrivés. Il dit en avoir trouvé seulement trois. Deux San Giovanni et une Madeleine. Le nonce apostolique rassure ensuite le cardinal lui disant qu'il a prié la marquise de ne laisser voir les tableaux à personne. Même si ensuite il ajoute que le cardinal pourra les obtenir à la condition que soit satisfaites les obligations envers les héritiers et les créditeurs, vu que Caravage est mort sans laisser de testament.
Deux jours après, une autre lettre d'un ton très agité, inquiet de Deodato Gentile avertit le cardinal Borghèse que les tableaux ont été saisis chez la marquise par les magistrats royaux dont personne ne sait de qui il s'agit...
Face à cette situation la Marquise Colonna qui avait la responsabilité de la garde, en particulier des oeuvres destinées au très puissant Broghèse à Rome va décider d'établir une liste de tout ce qui avait été rapporté chez elle. Dix neufs éléments au total parmi lesquels les tableaux avaient le plus de valeur. Et donc nous pouvons proposer une explication du 3. di 19. C'est la Madeleine en extase qui devait porter le numéro 3 de la liste des 19 éléments. C'est alors que l'entoilage des tableaux a été dissocié et que le petit papier a été plié et glissé entre les deux toiles avant qu'elles ne soient réunies.
Reste à savoir quel magistrat royal en 1610 aurait pu saisir le tableau chez la marquise Colonna. Pourrait il s'agir de Giovanni Andrea Canali le patriarche de la famille ? Un homme qui s'occupait justement des successions compliquées au tribunal de Naples... et dont les descendants ont hérité de la Madeleine en extase. La clé de l'énigme pourrait se trouver dans les deux inventaires du tableau. Le premier l'attribue au Guerchin alors que le second, réalisé vingt ans plus tard par Philippo Angeli indique qu'il s'agit d'une oeuvre de l'école de Caravage. Qu'est ce qui a bien pu faire changer l'attribution qui tenait depuis au moins 150 ans ? Angeli ne se sent pas d'affirmer avec une totale certitude qu'il s'agit d'un Caravage alors il écrit "école de Caravage".
Ces trois pièces à conviction racontent donc l''histoire d'un tableau éxécuté par le peintre lui même.
L'enquête d'Orietta Verdi et Francesca Curti montre que cette version de la Madeleine en extase serait donc une oeuvre authentique de Caravage.
C'est une histoire exceptionnelle dans le monde de l'art.
Si Mina Gregori l'a authentifié, d'autres spécialistes doivent se faire une opinion pour que progressivement se forme un consensus qui reconnaitrait le caractère original du tableau.
Aujourd'hui c'est au tour de Pierre Curie, Directeur du Musée Jacquemart-André à Paris de l'expertiser et son premier regard ne lui est pas très favorable. Toutefois, passée cette première impression et après examen des zones les plus sombres du tableau, en haut à gauche, son regard va changer.
Avec une lumière puissante, une croix et la couronne d'épines vont apparaitre. Il admet que l'oeuvre est très belle, très sombre et lumineuse en même temps.
Par contre, le crâne en bas à droite ne correspond pas aux crânes habituellement peints pas Caravage. Il parait presque désarticulé contrairement à ceux peints par Caravage.
Dans les Saint François et Saint Jérôme ils ont une consistance minérale presque réaliste.
Or celui ci ne leur ressemble pas du tout. Peut-être faut il envisager que Caravage ait laissé un assistant le réaliser...
On n'a jamais la certitude qu'un peintre a réellement peint un tableau même quand il a bien signé son oeuvre. Il faut laisser parler le regard, l'analyse technique, la compréhension pour se faire une opinion, qui ne reste qu'une opinion. Rien n'est jamais définitif.
Il faudra peut-être des années encore avant que la main de Caravage soit reconnue de manière unanime. Mais cette version de la Madeleine en extase, tout juste sortie de l'ombre, a désormais tout pour convaincre. A la fois pour le style de sa peinture, pour son éxécution remarquable et pour l'histoire romanesque de sa redécouverte.
&&&
Cette enquête sur la "Madeleine en extase" a été réalisée avec le concours d'ARTE.
Qui sera le prochain peintre à retenir mon attention ? Aucune idée pour l'instant ...
&&&
@ bientôt ...