PABLO RUIZ PICASSO ... Inventaire d'une vie (2ème partie) ...
Pablo Picasso a classifié ses oeuvres, année par année. C'était une façon de jalonner sa vie et sa création. A sa mort les gens pensaient trouver "un fond d'atelier" mais il était seul à savoir qu'il y avait des centaines et des centaines d'oeuvres de toutes natures. Les musées en ont été complètement déconcertés ! Personne ne pouvait avoir idée de l'importance de sa production.
L'éblouissement et l'émotion furent intenses quand ils pénètrèrent chez le peintre.
Maurice Rheims, qui est chargé de l'inventaire, et ses collaborateurs sont face à des milliers d'objets et toiles, des gravures et des céramiques à numéroter et classer. Il pensait que cela prendrait trois mois (ce qui est déjà beaucoup pour un inventaire) Cela va durer de 1974 à 1981 !
Jamais succession n'aura été aussi longue.
Sa résidence "La Californie" à Cannes est le centre de la succession. Tout se trouve au même endroit, du sous-sol jusqu'au troisième étage. Picasso avait admirablement rangé sa vie, dans des cartons classés par année, dans ce qui semblait être un désordre organisé.
Peu à peu les secrets de Pablo Picasso se dévoilent.
Les toiles retrouvées ont permis de lever le secret sur la période bleue, puis rose de Picasso.
Paul Lombard, avocat de Maya Picasso, raconte avoir marché sur un tapis de lettres entassées sur le sol.
Parmi elles, se trouvait une bouleversante et émouvante lettre adressée à Pablo par Guillaume Apollinaire.
Ressurgiront aussi les carnets de dessins du bateau-lavoir, des études et des croquis.
D'infinies recherches qui racontent comme jamais la genèse de chefs d'oeuvres qui sont entrés dans l'histoire de l'art.
Eté 1906, Max Jacob et ses amis tentent de porter, sur un quai de gare, une malle en osier remplie de tubes de couleurs et de toiles à peindre. Picasso a décidé de faire un grand voyage avec Fernande, grâce à la vente de toutes ses toiles roses à la galerie d'Ambroise Vellard. Fernande rêvait sûrement de vraies vacances mais l'artiste a choisi l'isolement de Gosòl dans la montagne catalane.
Les terres sont ocres, les ciels d'un bleu spécial, les maisons crayeuses, en forme de cubes. Si Picasso a ressenti le besoin de retrouver ses racines espagnoles, c'est qu'il est assailli par le doute et le sens même de sa peinture.
Il a été frappé par la rétrospective Ingres au Grand Palais. Car pour la première fois était exposée une toile cachée tant elle paraissait scandaleuse, le "Bain Turc". Elle éblouit Pablo.
Il n'est pas le seul à être subjugué. Henri Matisse, porte drapeau du mouvement fauviste, a présenté au printemps 1906 le "Bonheur de vivre" inspiré du bain turc et dont les couleurs ont suscité l'indignation.
Troublé par cette toile et pour la première fois de sa vie, il se trouve en concurrence avec un autre peintre. S'il veut répondre à Ingres mais surtout à Matisse, c'est dans le village de Gozòl qu'il doit rechercher du côté du primitivisme (qui privilégie les formes naïves et primitives de l'art) remonter aux sources de l'art, réapprendre à être maladroit et rechercher le dépouillement.
Les visages deviennent bientôt masques. De retour à Paris, Pablo poursuit ses recherches.
Il est son propre modèle comme le prouvent ces auto-portraits retrouvés lors de l'inventaire.
Picasso a décidé de peindre ce qu'il sent plutôt que ce qu'il voit.
Il veut réaliser une peinture comme on n'en a jamais vue.
Il s'enferme dans son atelier au bateau lavoir
C'est grâce aux carnets de dessins et aux études découverts par Maurice Rheims que l'on sait maintenant, que ce processus qui va conduire à une des toiles les plus célèbres de l'histoire de l'art, a duré pas moins de neuf mois et aura nécessité plus de 800 études.
Le sujet, scandaleux, Pablo l'a décidé depuis le début : ce sera une scène de bordel...
L'influence initiale c'est l'art primitif espagnol : des statues ibériques que Pablo a découvertes au Louvre.
Puis ce sera, non pas des masques africains comme on l'a longtemps cru, mais des photos rapportées d'Afrique noire par François-Edmond Fortier.
Les visages deviennent des masques primitifs, à coups de hachures et de torsures.
Ingres, Matisse... Picasso a définitivement démoli, à la fois le "Bain turc" et le "Bonheur de vivre"
Avec cette toile que Pablo a choisi d'appeler le "Bordel d'Avinyò" (rue qui a connu ses frasques barcelonaises)
Elle deviendra les "Demoiselles d'Avignon" au grand dam de Picasso.
Il vient de réaliser un tableau en rupture totale avec la peinture occidentale et ses conventions fixées depuis la Renaissance. C'est le premier tableau cubiste, révolutionnaire. La taille même du tableau est différente de tout ce qu'il a fait jusque là. Cette toile va choquer beaucoup de gens. Alors que personne ne semble comprendre son "Bordel d'Avinyò" il poursuit sa recherche sur les formes qui va le conduire au cubisme.
Cela commence par la photographie. Il l'a découverte dès son arrivée à Paris. Un art qui l'a intrigué puis fasciné. Très vite il est pris au jeu de la perspective et de son trucage, comme avec cette image, la première que nous connaissons de Picasso photographe.
Le surgissement de Pablo, à gauche de ses toiles, l'a beaucoup amusé.
Il se photographie dans son atelier du bateau-lavoir, au milieu de ses statuettes africaines dont il a maintenant la passion. Un soir, sous l'emprise du haschich, Pablo a crié qu'il pouvait bien se tuer à présent que la photographie existait... A quoi bon peindre puisque le réel peut être capturé par l'objectif ! Puis Pablo s'est repris et a compris que la peinture c'est bien plus que cela. Reproduire le réel est devenu captivant pour le peintre.
Pablo capture les paysages, les maisons ...
Lesquelles se déforment et s'allongent sur la toile. C'est de là que tout est parti, dit-il.
J'ai compris jusqu'où je pourrai aller , parvenir à minimiser en volume des personnages.
Aller le plus loin possible dans le découpage géométrique. Décomposer, recomposer les formes au delà du réel.
Pablo s'essaye à la sculpture cubiste à partir de découpages en facettes, allant jusqu'à casser comme il le dit, la tête de Fernande...
Picasso s'éloigne irrémédiablement de Fernande car en cette année 1911 le séducteur a eu le coup de foudre pour la frêle et élégante Eva Gouel (dite Marcelle Humbert). Elle sera la compagne de l'ère cubiste.
Elle sera cachée à Fernande ...
Il lui rendra hommage dans ses toiles en l'appelant "Ma jolie".
La jalousie de Fernande force bientôt le couple à fuir Paris et c'est à Avignon puis chez l'ami Georges Braque (son complice de la révolution cubiste) qu'ils se réfugient.
De retour à Paris, Picasso follement amoureux d'Eva quitte définitivement Montmartre pour s'installer à Montparnasse.
Auto-portrait d'un jeune homme de 30 ans dans son atelier boulevard Raspail.
Puis de la rue Schoelcher.
L'amant volage est par contre fidèle en amitié. Guillaume Apollinaire qui vient d'écrire "Le pont Mirabeau" lui offre son recueil "Alcools". Il le remercie de quelques mots sur un dessin : "tu sais comme je t'aime et tu sais la joie que j'ai en lisant tes vers".
Le cubisme est stoppé net dans son ascension !
La guerre éclate un jour de l'été 1914... Il ne s'en relèvera pas.
Georges Braque, Guillaume Apollinaire, les amis, s'en vont combattre sans que Pablo sache s'ils vont revenir.
Picasso, l'espagnol, est épargné par un conflit qui ne concerne pas son pays.
Mais après ses amis, c'est son amour qui va bientôt s'évanouir. Eva tombe gravement malade et fait de nombreux séjours à l'hôpital. La femme qu'il aime est désormais en danger et ne peut demeurer plus longtemps représentée par de simples mots sur des tableaux.
Alors il se met en scène avec Eva dans une évocation du peintre et son modèle ; un duo qui va devenir l'obsession picturale de toute une vie.
Eva meurt de la tuberculose en 1915 et Pablo gardera toujours cette toile cachée dans ses ateliers ...
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Mais l'histoire ne s'arrête pas là !
@ bientôt ...
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